Si les cancers les plus fréquents que sont les cancers du sein, du colon du poumon ou de la prostate, représentent la moitié des cas de cancers, on estime qu’environ un quart des cas de cancers sont des cancers rares couvrant plus de 150 types anatomo-biologique différents. Leur prévalence est estimée à 50 pour 100 000 habitants, et toucherait en Europe plus de 4 millions de personne[1]. Une étude épidémiologique sur les patients adultes atteints d’un cancer rare a révélé un taux de survie à 5 ans bien inférieur aux cancers les plus courants (47% vs 65%) [2]. Une association de patients anglais (Cancer52) a déclaré publiquement que les patients atteints de cancers rares en Europe sont exposés à une inégalité dans l’accès aux traitements innovants. La raison invoquée serait le manque d’intérêt de l’industrie pharmaceutique à développer de nouveaux médicaments pour des marchés très limités. Toutefois, du fait de leur prévalence les cancers rares devraient bénéficier de la législation des médicaments orphelins.
Le développement de médicaments pour les maladies rares a été longtemps limité par un manque de compréhension des mécanismes physiopathologiques, des contraintes en matière d’essais cliniques du fait du faible nombre de patients, et du coût d’investissement prohibitif en R&D pour de nouvelles molécules avec de très faible potentiel commercial. Les «Médicaments orphelins» (OD, Orphan Drugs) est le terme consacré à ces médicaments, viables sur le plan scientifique mais pas sur le plan économique. Pour encourager leur développement, une législation est entrée en vigueur dans l’Union européenne en 2000, s’inspirant largement de l’Orphan Drug Act américain (1983). L’introduction de ce statut apporte des incitations importantes pour les entreprises. Les critères retenus par l’agence européenne du médicament (EMA) sont la faible prévalence de la maladie (1/2000), sa gravité et un bénéfice attendu significatif pour les patients. Les mesures incitatives comprennent des réductions de taxes, et une exclusivité de marché jusqu’à 10 ans. Avec l’attribution du statut de OD à plus de 500 molécules en développement par la FDA et l’EMA, cette législation a contribué à l’élaboration de nombreux produits biotechnologiques innovants pouvant bénéficier aux patients atteints de maladies rares [3].
Aujourd’hui, la moitié des médicaments orphelins mis sur le marché sont des thérapies anti-néoplasiques. En 2011, 7 des 10 médicaments anticancéreux les plus vendus aux Etats-Unis étaient des médicaments orphelins (chiffres d’IMS Health), véritables blockbusters, pour certaines molécules (Rituximab®, Avastin®, Glivec®) rapportant plus d’un milliard de dollars de revenus annuels. Ainsi cette législation a soutenu de nombreuses opportunités de relais de croissance pour les entreprises pharmaceutiques dont la recherche s’essoufflait ces dernières années. Le modèle d’affaire de ce secteur industriel s’est ainsi déplacé du modèle du « blockbuster » vers le « niche buster » comme sources de profits [4] (Gorry, 2011, & 2014). Mais la hausse des prix et les dépenses croissantes de médicaments oncologiques innovants, ont provoqué l’inquiétude des «payeurs» et des associations de patients.
La disponibilité accrue de ces médicaments avec leur coût très élevé, et leur utilisation comme traitement d’état morbide chronique soulève en effet un débat autour de leur accessibilité, du coût-efficacité, et de leur remboursement par les assurances maladies dans un contexte macroéconomique défavorable. Hors, le concept de médecine personnalisée développée, il y a deux décennies par la société suisse Roche®, est devenue une réalité quotidienne dans le traitement du cancer avec l’Herceptin® et son diagnostic compagnon. Demain, grâce au profilage pharmacogénomique des tumeurs, les possibilités offertes par la médecine personnalisée seront immenses. La soutenabilité de nos systèmes de protection sociaux vis à vis du modèle économique de ces nouveaux médicaments devient un débat majeur car une évolution incontrôlée pourrait être à l’avenir source d’inégalité sociale [5].
En France, les dépenses de médicaments représentent 18% des dépenses de santé remboursés par la CNAM, et sont le 2eme poste de dépense au sein des hôpitaux. C’est un marché au prix administré relativement complexe. Pour tout médicament ayant une AMM, il est soit inclus dans les différents tarifs de groupes homogènes (GHS), soit inscrits en liste en sus, soit en rétrocession. Mais certains médicaments innovants peuvent faire l’objet d’une ATU. Dans ce cas, il est mis à disposition d’établissements éligibles de façon gracieuse ou contre le versement d’une indemnité à l’industriel; les coûts sont pris en charge au titre des Missions d’Enseignement, Recherche, Référence & Innovation (MERRI) (IGAS, RM2011-063P).
Dans le cadre de ce projet nous nous proposons de documenter cette situation à plusieurs niveaux :
Dans une dernière étape, nous nous proposons de réfléchir, en nous appuyant sur une modélisation microéconomique aux effets attendus de la stratégie des firmes, au rôle du mode de fixation des prix et des marchés visés (hôpital vs ville); une étude empirique visera à tester les différentes implications du modèle théorique en utilisant les données collectées [9] (Verpillot, 2009).
[1] Gatta G. et al., (2011), European Journal of Cancer, 47, 2493-2511.
[2] Gatta G. et al., (2006) Lancet Oncology, 7, 132-140.
[3] Rzakhanov Z, (2008), Research Policy, 37, 673-689.
[4] Montalban M. & Sakinc ME., (2013) Industrial Corporate Change, (2013) 22 (4), 981-1030
[5] Sullivan R. et al., (2011). Lancet Oncology 12, 933-80.
[6] Sartors F. & Walckiers D., (1995), American Journal of Epidemiology 141 (8), 782-787
[7] Bass F. Management Science, (1969), 15, (5), 215–227.
[8] Bonastre J. et al., (2013), Health Policy, 116, (2-3), 162-169.
[9] Bardey D. et al., (2010), Journal of Health Economics, 29, (2), 303-316